TaxPage - Prêts actionnaires et safe harbour rules
Introduction
Dans le cadre de prêts entre sociétés apparentées, les autorités fiscales souhaitent toujours s’assurer que les conditions de pleine concurrence ont été respectées. En effet si les intérêts prévus dans le cadre du prêt sont – selon le cas – trop bas ou trop hauts, ils peuvent être requalifiés en distribution dissimulée de bénéfice, engendrant certains frottements fiscaux.
Safe harbour rules
Afin d’apporter aux contribuables une certaine sécurité juridique en la matière, l’Administration fédérale des contributions (AFC) édicte chaque année une lettre-circulaire indiquant les taux d’intérêts minimums pour les prêts d’une société à un détenteur de parts de même que les taux d’intérêts maximums dans la situation inverse. Tant que le taux utilisé respecte ces taux safe harbour indiqués par l’AFC, celle-ci le considérera comme adéquat et conforme au principe de pleine concurrence. Le non-respect de ces taux conduit en revanche à une présomption réfragable d’existence d’une distribution dissimulée de bénéfice, renversant ainsi le fardeau de la preuve en défaveur du contribuable. Celui-ci demeure libre de démontrer que le taux d’intérêt appliqué est conforme au principe de pleine concurrence. S’il n’y parvient pas, les autorités fiscales procèderont à une correction du bénéfice imposable de la société et prélèveront l’impôt anticipé sur la distribution dissimulée de bénéfice.
Dans un tel cas, une fois que l’autorité fiscale détermine que le taux est inadéquat, encore faut-il déterminer dans quelle mesure. En effet, on pourrait penser que la distribution dissimulée de bénéfice serait calculée en tenant compte de la différence entre le taux d’intérêt effectif et le taux minimum ou maximum indiqué par l’AFC. Or, comme nous l’exposerons, le Tribunal fédéral (TF) a récemment confirmé une position plus stricte adoptée par l’autorité fiscale cantonale zurichoise (ATF 9C_690/2022).
Quotité de la distribution dissimulée de bénéfice
Dans l’arrêt en question, une société étrangère avait accordé à sa filiale suisse plusieurs prêts, aux taux de 2,5% et 3%. Pour les périodes fiscales concernées, les taux maximums arrêtés par l’AFC se montaient à 1,5% et 2%. L’Autorité fiscale zurichoise a retenu que les taux appliqués étaient trop élevés et a retenu un taux d’intérêt du marché de 1,08%, requalifiant la différence en tant que distributions dissimulées de bénéfice.
Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord que les lettres-circulaires annuelles de l’AFC visent à simplifier l’application du principe de pleine concurrence sur les taux d’intérêt des prêts entre sociétés et actionnaires. Issues de la pratique administrative, elles ne sont pas contraignantes mais favorisent une application uniforme du droit.
Ensuite, le Tribunal fédéral retient que si le contribuable décide de ne pas appliquer les taux d’intérêt safe harbour, l’autorité fiscale n’est pas non-plus tenue par ces taux. En effet, aussitôt que le contribuable applique un taux supérieur aux taux d’intérêt maximaux admis, l’autorité fiscale peut à son tour fixer un taux d’intérêt conforme au marché, inférieur au taux d’intérêt de la lettre-circulaire. Dans un tel cas de figure, il n’y a pas de violation de la protection de la bonne foi puisque le contribuable a lui-même choisi de s’écarter des taux safe harbour.
Mesures à prendre
Dans un monde idéal, il suffirait de respecter scrupuleusement les taux safe habour pour éviter tout risque fiscal. Cela étant, dans la pratique, il y a de nombreuses situations dans lesquelles un contribuable s'écarte des taux safe harbour, notamment dans les financements intragroupe transfrontaliers où ces taux ne s'imposent pas aux autorités fiscales étrangères. Dans ce cas, il faut prouver la conformité du taux d'intérêt avec les règles internationales de prix de transfert. La détermination d’un taux de marché donne souvent lieu à un ruling fiscal lorsqu’il dépasse celui des lettres-circulaires.
Conclusion
Cet arrêt met en lumière les conséquences du non-respect des safe harbour rules en matière de prêts actionnaires. Celles-ci peuvent être particulièrement lourdes si les parties ne sont pas en mesure de démontrer le respect des conditions de pleine concurrence, par exemple par une étude de prix de transfert ou en ayant obtenu un ruling préalable dans ce sens de l’autorité fiscale concernée.
Un article de Daniel Gatenby